«Combien elles coûtent, les tomates ?» (extrait à lire)

«Combien elles coûtent, les tomates ?»

Dans la série extraits littéraires, place à la nouvelle « Combien elles coûtent, les tomates? » du recueil Azania.

«Combien elles coûtent, les tomates ?»

« Ces vacances-là, j’avais décidé de laisser de côté le farniente qui me caractérisait pendant cette période de l’année. J’avais obtenu mon Bac avec mention. À la rentrée prochaine, je prendrai la route de l’université. Cette perspective m’enchantait et m’inquiétait en même temps. On nous racontait tant de choses sur le rythme universitaire.

On nous disait que là-bas, plus rien ne serait comme avant. Là-bas, notre esprit d’initiative serait sans cesse sollicité. Alors, je m’étais finalement dit qu’il fallait profiter de mes dernières vacances de lycéenne pour préparer mon entrée à la Fac. Les premiers jours, je m’étais lancée dans la recherche d’un stage en rapport avec mes aspirations. J’aurai pu solliciter un membre de ma famille, mais je voulais y arriver seule.

L’entreprise se transforma rapidement en parcours du combattant. En désespoir de cause, j’optais pour une autre solution. Au début, même à moi, l’idée me parut bien téméraire, mais au bout de deux semaines de réflexion, je la trouvais de plus en plus tentante et originale. Il fallait à tout prix que je le raconte à ma tata chérie, Mema Abeng, sœur aînée de mon père. Elle m’encouragea fortement à franchir le pas, ce que je fis. »

« Elle sera rude physiquement mais au moins j’aurai l’avantage de faire preuve d’initiative du début à la fin. Surtout, je découvrirai une autre facette de la vie », ne cessai-je de me dire pour me donner le courage de l’annoncer à mes parents. Je savais pouvoir bénéficier du soutien de ma tante, mais elle avait exigé que je sois la première à en parler à mon père et à ma mère.   

Sans être de la haute, ma famille s’en sortait plutôt bien. Mes parents avaient deux voitures et un ravissant pavillon de six pièces à Odza, notre quartier. Ils avaient aussi deux appartements en location à Ngousso et Emombo. Mes deux sœurs et moi ne manquions de rien et l’université catholique où j’allais faire mon entrée était d’ailleurs l’une des plus réputées de Yaoundé, et parmi les plus chères. Je crois savoir pourquoi mes parents refusèrent au début de me laisser mettre en pratique mon idée. Ils étaient fille et fils de cultivateurs et n’avaient ménagé aucun effort pour acquérir leur statut actuel. Maman adorait son métier d’agent général des assurances, et papa aimait tout autant son emploi d’informaticien dans la filiale d’une banque américaine. À côté, ils étaient membres fondateurs d’une coopérative piscicole qui rapportait gros, à en croire leurs retours ravis sur cet investissement.                  

— J’ai trop souffert dans mon enfance pour que cela arrive aussi à mes enfants. Je me rappelle encore aujourd’hui de chacun des huit kilomètres parcourus à pied pour rejoindre l’école de Ngoumou. Au retour, il fallait aider ton grand-père planteur de cacao. J’avais peu de temps pour réviser mes cours. Quand je le faisais, éclairé par la seule lueur de notre lampe à pétrole, j’avais mal aux yeux d’avoir tant travaillé. Jamais, vous mes filles, ne connaîtrez ça.                  

Mon père nous tenait fréquemment ce discours. C’est pour cette raison que maman et lui avaient engagé une employée pour s’occuper de la maison et des repas. Parfois, je me disais que nous vivions comme des coqs en pâte. Alors, en apprenant que l’aînée de leurs filles, celle qui aimait à leur dire qu’elle marquera le monde du marketing, allait vendre des tomates pendant deux mois, mes parents ne sautèrent pas de joie.                  

— Dzé a ? Quoi ?, s’était exclamé mon père. Wa dzó nā wa yi nā wa kuan ai ngodó á nsəŋ mekíd a ?                

 — Tu veux vendre des tomates au marché, Alima ? avait répété ma mère avec le même air catastrophé.                  

— Owé. Oui maman. Je n’ai pas pu trouver un stage qui me convenait. J’ai de petites économies. Je vais utiliser ce capital pour acheter mon fonds de commerce. Je veux vendre des tomates au marché du Mfoundi pendant les vacances.                  

— Si c’est pour un stage, ta mère et moi…         

Mon père m’avait regardé, coupant court à sa phrase. Puis, il s’était tourné vers ma mère. Les deux m’avaient observé de concert une longue minute…

La suite dans le recueil AZANIA